227-Sar Aga Seyed

Sar Aga Seyed est un village situé au fond d’une vallée reculée sans issue, inaccessible une bonne partie de l’année à cause de la neige. Il est donc resté à l’écart de la ‘modernité’ et n’a pratiquement pas changé depuis son origine. Une bonne raison d’aller voir de plus près ce dont il retourne. Nous ne nous doutions pas alors que deux journées riches en événements nous attendaient.
Depuis Chelgerd situé à 2300m. d’altitude, nous prenons une bonne piste roulante. Des familles de bergers backthiyaris ont dressé leurs tentes sur les coteaux de la montagne. A une quinzaine de kilomètres, une large langue de neige descend d’un sommet. A partir de là, le chemin rétrécit et devient plus chaotique sur les 30km. restant à parcourir. Par endroits, des femmes attendent patiemment l’un des vieux pick-up bleus faisant office de taxi qui les remmènera au village. A leurs pieds sont posées les récoltes de la journée enserrées dans des carrés de tissu dont les coins ont été noués. Chaque sac pèse près de vingt kilos. Nous poursuivons notre chemin jusqu’au moment où l'un des groupes de femmes nous fait signe de nous arrêter afin de nous demander de leur servir de taxi. Elles sont six avec leurs six chargements. Compte tenu de l’état de la piste et du fait que nos véhicule ont déjà atteint voire dépassés leurs charges limites, nous leur faisons comprendre que cela n’est pas possible. Au vu de leur insistance, nous cédons d'abord pour accepter une seule personne avec son sac. Devant le tollé provoqué pour leur choix de la chanceuse qui pourra monter, nous leur indiquons que nous acceptons deux personnes. Finalement nous décidons d’emmener les six femmes. Elles prendront place dans notre véhicule, leurs chargements dans celui de Claude et Nicole. Ceux ci ne peuvent prendre aucune personne à bord car il n’y a pas d’ouverture entre leur cabine et leur cellule et ne peuvent donc s'assurer que tout se passe bien dans la cabine arrière.
Nous voilà partis avec 8 personnes à bord, une surcharge d’environ 400 kg, sur une piste chaotique et glissante par endroits. La vitesse devient très réduite afin de ménager tout le monde et la mécanique. Nous atteignons enfin le col à 3600m d’altitude en vitesses courtes. Nous pensons être arrivé au village, mais que nenni. La piste redescend de l’autre coté de façon plus raide jusqu’au village, 1500m. d’altitude plus bas. Nous hésitons à poursuivre d’autant qu’il est déjà assez tard dans l’après midi. Nous passons entre des congères de 3 à 4m. de haut mais fort heureusement, point de neige sur la piste. Nous devons parfois nous y prendre à deux fois pour passer des virages en épingle en prenant garde de ne pas glisser dans le ravin. Claude et Nicole auraient bien voulu faire demi tour, mais assez loin derrière nous, sans moyen de communication, et avec les bagages de ces dames, voilà qui leur était difficile.
A l’intérieur de notre véhicule règne un brouhaha permanent. Un vrai poulailler. L’une des femmes parle très fort en gesticulant, détaillant avec ses collègues tout objet dépassant des pochettes de rangement sur les parois de la cellule. Martine est harcelée afin qu’elle lui donna soit son petit bracelet, soit ses chaussettes, soit ses lunettes, soit son foulard, soit tout autre objet qu’elle pouvait apercevoir. Et avec Farouche qui se débattait sur les genoux de sa maitresse ou coincé entre le siège et la cellule, la vie à bord est vite devenue un peu stressante.
Finalement, deux heures plus tard, à la nuit tombante, nous arrivons  très fatigués à Sar Aga Seyed. Ces dames descendent du véhicule et reprennent possession de leurs bagages véhiculés par Claude, arrivé quelques minutes après nous. Pour charger leurs lourds fardeaux, elles se mettent deux par deux. La première s’accroupit tandis que sa collègue lui pose sur le dos son chargement qu’elle retient par des lanières sur le front. Elle l’aide ensuite à se relever non sans peine, et ainsi , réciproquement. Quelques instants plus tard, après un bref remerciement, les voilà dispersées dans le village.
Reste à trouver un endroit pour bivouaquer. Ils ne sont pas nombreux. L’instituteur arrive fort à propos pour nous proposer deux emplacements devant l’école en haut du court chemin l’y conduisant. Un petit tour à l’entrée du village pour acheter quelques produits dont nous n’avons pas l’utilité mais qui permettent de nous faire connaitre, terminera cette journée bien chargée.
Le lendemain matin, au moment où nous nous apprêtons à visiter le village, nous voyons des femmes courir en poussant des cris. Au bout de la ‘route’ en descente, à 200m. de là, un des pick-up bleus est posé sur son coté gauche. Il était chargé de nombreuses femmes, plus d’une vingtaine d’après Claude qui les avait vu partir, se rendant au travail des champs. Mais la surcharge  était telle, que, au premier virage à la sortie du village, à l’endroit où la côte se redresse de façon importante, le véhicule a commencé à partir lentement en arrière, puis s’est posé sur le flanc. En voyant le nombre impressionnant de femmes sur le bas coté, nous nous attendons au pire. Mais, apparemment pas de morts, ni de blessés graves. Un premier groupe de huit à dix personnes remonte vers le village. Nicole et Martine se mettent à l’oeuvre pour aider comme elle le peuvent avec nos trousses de secours. Il n’y a pas de dispensaire au village, le centre de secours est à Chelgerd à plus de 2h. de ‘route’. Claude et moi nous rendons sur place pour effectuer un premier bilan. Plusieurs autres femmes sont présentes, indemnes mais un peu choquées. Des hommes analysent la situation. Le véhicule a peu souffert du fait de la faible vitesse dans les rocailles au moment du retournement, ce qui explique le peu de victimes parmi les passagères qui se tenaient toutes debout dans la benne et ont pu sauter à temps. Les hommes s’attachent à casser à coups de pioche un rocher qui gêne la remise sur pied du pick-up, et j’en profite pour aller chercher mon véhicule afin de sortir le pick-up de sa fâcheuse position. Pendant que ce petit monde s’affaire, un autre pick-up, très chargé, décide de passer entre un gros rocher et mon véhicule, à l’endroit où la piste fait un coude et amorce sa montée. Accélérateur à fond, le véhicule penche très dangereusement dans le virage et nous voyons le moment où il se coucherait lui aussi. Coup de chance, il passe de justesse. Ouf! Une petite heure plus tard, une de mes sangles attachée entre les 2 véhicules, le ‘taxi’ est remorqué sur 200m. jusqu’au sommet de la côte. Un coup d’oeil au moteur, quelques coups de marteau et le voilà reparti vers sa destination initiale. Ces véhicules bleus très rustiques, ainsi que leurs pilotes, sont impressionnants d’agilité, et à voir le flegme des personnes présentes, on se dit que ce genre d’accident fait partie de la routine des lieux. Les blessées seront prises en charge dans un autre pick-up car ce sont les seuls véhicules pouvant atteindre le village. Elles devront ainsi prendre leur mal en patience et supporter les secousses et l’inconfort d’un transport qui les emmènera au centre de santé de Chelgerd.
En milieu de matinée, nous pouvons enfin découvrir Sar Aga Seyed. Un jeune homme se propose de nous accompagner, ce qui s’avère très utile dans ce dédale de ruelles. Les toits des maisons sont les terrasses des maisons du dessus. Aucune barrière. Les enfants passent des toits aux terrasses sans problème apparent. Nous sommes l’attraction du lieu surtout Farouche. Il est entouré, caressé, tripoté. Heureusement il a très bon caractère et n’oppose pas  de résistance. Après avoir bu un thé offert par le jeune guide, nous reprenons la ‘route’ en sens inverse, direction Chelgerd. Reposés après une bonne nuit, sous un beau ciel bleu, délestés de nos six passagères et de leurs encombrants bagages, la route maintenant connue, nous parait beaucoup plus simple qu’à l’aller. Il nous suffit de moins de deux heures pour avaler les 45 km. nous séparant de notre point de départ. Nous profitons davantage du paysage. La fatigue de la veille avait un peu noirci le tableau d’un itinéraire qui n’était finalement pas très compliqué.
Au cours du trajet, nous arrivons lentement au niveau d’un berger, et de son âne qui le précède. Las, l’animal prend peur et s’enfuit. Et voilà notre berger, plus tout jeune, en train de courir après la bête, et ce sur plusieurs centaines de mètres. Au bout d’un moment il pose un sac sur le bas coté. Nous nous approchons. A l’intérieur un petit chevreau dont seule la tête dépasse. L’homme l’a déposé pour s’alléger dans sa course poursuite. Il revient enfin avec l’âne. Nous lui demandons où il va. Il revient de Sar Aga Seyed. Régulièrement pour faire ses achats, avec sa femme qui maintenant nous a rejoint, il emprunte la piste sur plusieurs kilomètres, descend un sentier jusqu’au fond du vallon, puis remonte les 5 à 600 m. de dénivelé sur le versant face à nous avec âne et provisions, pour redescendre de l’autre coté jusqu’à leur maison. Et nous qui trouvions la piste un peu fatigante avec nos montures, voilà qui remet les pendules à l’heure.
Revenus en ville, nous faisons connaissance de fiers représentants de la gent masculine locale, vêtus de blazers et pantalons noirs bouffants. D’autres hommes en costume local, tout aussi sympathiques, se joignent à nous pour terminer agréablement ce petit repas, avant de prendre la route pour tenter de trouver des champs de ‘tulipes renversées’. Voilà une énigme à résoudre.